Merci, Grazie, thank you by Julien Sandrel

Merci, Grazie, thank you by Julien Sandrel

Auteur:Julien Sandrel [Sandrel, Julien]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Calmann-Lévy
Publié: 2022-03-02T11:12:51+00:00


16

CHLOÉ

15 JUILLET 2018

Je n’ai jamais vécu quoi que ce soit de semblable.

Il faut dire que le foot et moi, ça n’est pas la grande histoire d’amour. Je connais tout juste les règles, mais j’ai un souvenir très net de la soirée passée avec ma mère et mon père, lorsque la France a gagné la Coupe du Monde en 1998.

Mes parents étaient définitivement des adultes trop sérieux. Je ne suis pas certaine qu’ils aient vécu une vie heureuse. Je ne savais pas grand-chose de leur métier, à part qu’ils ne l’aimaient pas beaucoup mais qu’ils s’y donnaient corps et âme, voyageant énormément, travaillant même pendant les vacances. Les rires à la maison étaient rares, et j’ai souvent été seule. Seule avec la nounou jusqu’à mes quatorze ans, puis seule tout court.

Alors cette finale de Coupe du monde de 1998 apparaît, dans le brouillard de mes souvenirs d’enfance, comme l’une des rares soirées joyeuses, sans travail, en famille. Je sais bien que tout cela est sans doute une reconstruction de mon esprit, et que mes parents m’offraient sûrement plus de moments que je ne le pense aujourd’hui, mais je n’y peux rien, c’est la trace mnésique qui subsiste.

Mon père avait pour l’occasion acheté des pizzas et des glaces, le son de la télévision était au maximum, ma mère m’avait maquillée, nous avions ouvert les fenêtres et nous criions dès qu’un but était marqué. À la fin, mon père avait pris ma mère dans les bras et l’avait embrassée en riant – c’est la seule fois où je les ai vus s’embrasser.

Puis nous étions sortis dans les rues de Paris résonnant de klaxons et hurlements de joie, mon père m’avait prise sur ses épaules, et nous avions marché en chantant jusqu’à la place de la République en liesse.

Ce sont ces instants magiques de mon enfance qui reviennent, alors que le match de 2018 se déroule devant mes yeux. Lorsque Mbappé marque le quatrième but, lorsque certains supporters commencent à pleurer autour de moi, lorsque les chants se font plus forts, lorsque la foule saute si haut que j’en ai peur pour Olga, je crois entendre le rire de mon père.

La déferlante de joie qui suit le coup de sifflet final est telle qu’Olga se jette sur moi, me dit qu’elle est heureuse que je sois à ses côtés, et malheureuse que Gina ne soit pas là, de ne pouvoir partager ça avec elle… puis c’est Luther qui s’emballe. Il embrasse Olga sur la joue, puis il me serre dans ses bras en me soulevant du sol. Je n’aime pas ça du tout, mais je ne dis rien.

Autour de nous, les gens deviennent hystériques. L’euphorie explose, et mes tympans avec. Tout le monde hurle « On est les champions ! » ou sa variante, « Champions du monde ! », dans un délire de bruit et d’accolades suantes. Ma peur pour Olga est désormais légitime, j’ai l’impression qu’à chaque instant, n’importe qui pourrait écraser cette vieille brindille. Les gens sont si heureux que ça en devient flippant.



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